Confession d’un voleur

Présentation

C’est l’histoire d’un homme ordinaire qui a commis un vol il y a plus de vingt ans. Un geste discret, sans violence, mais lourd de conséquences. Il s’est enrichi, a fondé une famille, a mené une vie droite — en apparence. Pourtant, sous cette façade tranquille, il porte le poids d’un crime prescrit par la loi. Ce texte est sa confession tardive, le récit d’une faute que ni le temps ni le silence n’ont effacée.

Lettre confession : lettre laissée par le narrateur à sa famille.

Je n’ai pas toujours su ce que valait l’argent. Longtemps, je l’ai cru magique. Et un jour, j’en ai volé. Assez pour changer ma vie, et celle des miens.
C’était il y a plus de vingt ans. Des chiffres déplacés. Rien de spectaculaire, rien de violent. Mais un crime tout de même. Un vol, propre, silencieux, efficace. Je ne me suis pas fait prendre. Le temps a passé, la justice aussi. On dit qu’il y a prescription. Je me demande : laquelle ?
Je vis encore avec cet argent. Il a payé la maison, les dettes, les vacances. Ce que j’ai pris, je le revois chaque jour, sous bien des formes.
J’aurais dû être jugé, purger une peine. À la place, j’ai construit un quotidien plus facile. Et peut-être que c’est lui qui a payé, sans le savoir.
Je n’ai jamais su ce que j’étais. Sans doute beaucoup trop d’hommes à la fois. Ce que je sais, c’est que, parfois, le secret bouge en moi. Et qu’il n’y a pas de prescription pour ça.
Oui, il m’arrive d’imaginer le dire. À ma famille. En parler calmement, sans chercher d’excuse. Je lui parlerais de la tentation qui m’a traversé comme une étincelle. Mais ce serait l’inquiéter, ma famille. Je le sais.
Alors, je me tais. Je préfère le silence. Je me dis que la vérité, maintenant, ne réparerait rien. Elle détruirait seulement ce que j’ai construit, même si c’est bancal.
Il y a des nuits où je me lève, sans raison. Je traverse la maison, j’écoute le silence. J’ai peur que tout s’effondre. Que quelqu’un frappe à la porte, qu’on me demande des comptes. Je me rassure en me disant que ce ne sera pas la police — c’est trop tard pour ça. Mais qui sait ?
Je vis avec ce poids comme on vit avec une cicatrice : on finit par l’oublier, puis de temps en temps, elle gratte sans prévenir.
Je me dis que si j’écris tout ça, c’est peut-être une façon de payer, un peu. Pas avec de l’argent, pas avec des années de prison. Peut-être que c’est ma manière de rendre.
Mais je ne crois pas au rachat. Il n’y a que la lucidité, et ce besoin de se regarder en face, sans détours.
Ce matin encore, j’y ai pensé. Vingt ans. Vingt ans de silence, de prudence. Les personnes concernées ont fait leurs vies. Les chiffres, eux, n’ont pas bougé.
De temps à autre, ce vertige : je retombe dans ce jour précis, la seconde où tout bascule. Un clic, une signature. Un geste minuscule, banal. Je ne me mens pas, je ne corrige pas une injustice. Je vole. La vie me doit tant.
Je me demande souvent : si je pouvais revenir en arrière, est-ce que je le referais ? J’aimerais répondre non. Pourtant, je ne suis pas certain. L’argent change tout.
J’entends mes discours, aujourd’hui. Je me surprends à parler d’éthique, de mérite, de transparence. Je me filerais des claques. Tais-toi ! Silence !
Aux yeux de mes proches, je suis quelqu’un d’honnête.
Parfois je me dis que je devrais écrire une lettre. Tout raconter, noir sur blanc. La laisser quelque part, pour qu’un jour, après moi, quelqu’un sache. Pas pour qu’on me juge, non. Pour qu’on comprenne que la faute, quand elle ne trouve pas sa punition, cherche à survivre autrement.
Je ne sais pas encore si j’aurai ce courage.
Hier soir, j’ai ouvert un ancien fichier, crypté, verrouillé, que j’avais gardé. On peut appeler ça un acte manqué. Je l’ai enfin détruit. Comme il le faut. Erasé. C’était beau, presque apaisant. Mais rien ne disparaît vraiment. C’était un geste symbolique, pas un effacement.
Je sais que quelque part dans le monde, dans les sauvegardes de serveurs oubliés, les preuves m’accablent. Parce que des gens, il y a bien longtemps, ont juré que je paierai pour ce que j’ai fait.
Je ne me sens ni purifié ni pardonné. Je suis un homme qui a volé, mais qui n’a jamais eu besoin de fuir. Juste mentir.
Ce matin, j’ai marché longtemps en forêt. J’ai pensé que j’avais eu de la chance, une chance indue, et que le prix à payer n’était peut-être pas celui que je croyais.
Je ne parlerai sans doute jamais. Pas à ma famille. Ce secret, c’est ma dette. Je la porterai jusqu’au bout. Mais ce que j’écris ici, c’est sans doute une confession. Une façon d’ouvrir la fenêtre, de laisser entrer un peu d’air dans cette chambre close où je vis depuis trop longtemps.
Il n’y aura pas de pardon. Et c’est très bien ainsi.